Les limites d’une diplomatie émotionnelle

La réaction du Premier ministre Ousmane Sonko, bien que saluée par certains comme un acte de fermeté souveraine, a suscité une onde de scepticisme chez de nombreux observateurs avertis des subtilités de la diplomatie. Pour ces derniers, cette sortie manque de tact et de finesse, surtout dans un contexte mondial extrêmement tendu où les rapports entre États se redessinent au gré des crises géopolitiques. Une telle déclaration, aussi légitime soit-elle dans le fond, aurait gagné à être portée avec la hauteur de vue et la retenue qu’exige la fonction, plutôt qu’avec la tonalité vindicative d’un internaute en croisade sur les réseaux sociaux.
Pourtant, il y a des instances qui pouvaient communiquer avant le Premier ministre : la Fédération sénégalaise de basketball, le ministère des Sports ou encore celui des Affaires étrangères. Cette impulsivité donne l’impression d’un pouvoir verticalisé à l’extrême, où tout est centralisé, même ce qui relève des prérogatives techniques ou diplomatiques. Un réflexe de réaction directe qui, s’il devient systématique, risque d’altérer l’efficacité institutionnelle et brouiller la parole de l’État.
Le Sénégal a bâti, au fil des décennies, une réputation de nation à la diplomatie mesurée, équilibrée et respectueuse. Son positionnement unique – entre la Chine, les États-Unis, l’Union européenne et même le monde arabe – repose sur une tradition d’ouverture, de non-alignement et de dialogue. Notre diplomatie a toujours su conjuguer rigueur des principes et souplesse de méthode, comme le soulignait Doudou Thiam, le tout premier chef de la diplomatie sénégalaise : ‘’Une diplomatie où se mêlent à la fois la nuance et l’intransigeance, le courage et la générosité, la fermeté et la souplesse, la vigueur de la conviction et le sens du dialogue.’’
Les relations avec les États-Unis illustrent parfaitement cette dynamique. Deux compacts signés dans le cadre du Millennium Challenge Corporation (MCC), des visites répétées de présidents américains – à l’exception de Donald Trump – et une coopération sécuritaire, éducative et sanitaire soutenue : tout cela témoigne d’une relation bilatérale dense et stratégique, qu’il convient de préserver avec intelligence. Y ajouter une crispation inutile, sans phase préalable de vérification ou de médiation diplomatique, serait contre-productif.
De plus, l’impact potentiel d’une dégradation des relations avec Washington ne doit pas être sous-estimé. La diaspora sénégalaise aux États-Unis est nombreuse, dynamique et essentielle à l’économie nationale. Toute tension diplomatique pourrait avoir des répercussions sur les conditions de régularisation, les transferts de fonds ou encore les programmes d’échanges universitaires.
Or, dans un monde où l’interdépendance est la règle, le pragmatisme doit primer sur la posture.
Enfin, une question mérite d’être posée froidement : sur quoi le Sénégal peut-il raisonnablement exercer une pression dissuasive envers les États-Unis ? Quels leviers économiques ou stratégiques avons-nous, aujourd’hui, qui pourraient faire plier la première puissance mondiale ?
La vérité, c’est que dans cette relation, l’asymétrie est structurelle. D’où l’intérêt de jouer sur notre véritable force : notre réputation de pays stable, crédible et capable de dialoguer avec tous. En ce sens, le mutisme initial de l’ambassade américaine pourrait n’être qu’un choix stratégique de ne pas alimenter une polémique.
Loin de prôner la soumission ou la passivité, il s’agit ici de rappeler que la souveraineté ne se décrète pas à coups de formules martiales. Elle se construit dans le temps, par une politique extérieure maîtrisée, constante, capable d’imposer le respect non par l’escalade verbale, mais par la constance diplomatique. Le Sénégal ne doit pas sacrifier l’héritage de Senghor, Diouf et Wade en matière de politique étrangère – un héritage de nuance, de prestige et d’équilibre – sur l’autel d’un souverainisme réactif et mal maîtrisé.
AMADOU CAMARA GUEYE